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Reggae Focus : un 45 Tours de toute rareté !


Il s’agit d’un 45 Tours d’apparence banale, sorti en 1976. La chanson ? Legalize It de Peter Tosh, un classique. La version n’a rien de spécial, c’est celle que tout le monde connait. C’est pourtant l’un des Graals les plus inaccessibles des collectionneurs de reggae. Rares sont ceux qui l’on tenu une fois entre leurs mains ; et pour la plupart, ce petit miracle ne se produira qu’une fois dans leur vie.


Les fanatiques se rappellent encore avoir vu ce single dans les années 90, reproduit en noir et blanc dans les pages du fanzine Distant Drums. De quoi prouver son existence, et de renforcer le mythe. Qu’a-t-il d’exceptionnel, ce singlee ? Son logo : un palmier stylisé, vert sur fond jaune-orangé. Comme le copyright le rappelle, il s’agit ce celui du label Island Records, la maison de disques de Chris Blackwell, qui a révélé Bob Marley et les Wailers. Après quelques secondes de réflexion, les amateurs les plus éclairés percutent : Legalize it... sur Island ? Mais pourtant... Oui, pourtant elle est sortie sur le label Virgin ! Tout comme l’album du même titre, d’ailleurs. Et jamais sur Island ! En fait, si... L’espace de quelques semaines, au cœur d’un micmac des plus ét'ranges, significatif de la guerre commerciale que Virgin déclare à Island en 1976.



On le sait, les relations entre Tosh et Blackwell n’ont jamais été des plus cordiales. Le premier reprochait au second d’avoir favorisé Bob Marley du fait de sa peau plus claire—il l’appelait d’ailleurs Chris White(blanc)Worse(pire), plutôt que Black(noir)Well (bien). D’ailleurs, Legalize It est le premier album solo de Tosh depuis sa séparation d’avec les Wailers ; et il a pris son temps, puisqu’il bosse dessus depuis 1972. C’est Columbia (CBS) qui sort l’album aux US. En Angleterre, Virgin sort un communiqué de presse annonçant la sortie imminente de Legalize It. Mais le 10 juillet 1976, coup de théâtre ! Le magazine anglais Black Echo publie un petit article : « Contrairement à ce que Virgin avait annoncé, le prochain album de Peter Tosh, Legalize It, sortira en Angleterre sur le label Island Records. » Interviewé, le chargé de presse d’Island, Brian Blevins, explique que l’artiste est signé en distribution chez eux pour l’Angleterre et le Nigeria. « Virgin devaient le sortir sous licence chez nous, concède-t-il, mais cela n’est plus d’actualité. » Virgin, née en 1976 d’une scission au sein d’Island Records fait alors une entrée fracassante sur le marché reggae. « Les gens de Virgin (...), écrit Rita Forest dans son essai Reggae : Jamaica’s Rebel Music, sont allés en Jamaïque en 1976 avec les poches pleines de cash pour signer des artistes et tenter de concurrencer Island qui se taillait la part du lion sur le marché international. » Interrogé de son côté par Black Echo, le chargé de presse de Virgin, Al Clarke, avoue ignorer les raisons de ce retournement. Avec un flegme tout british, il ajoute : « Si je suis énervé ? Disons que ma bile est bien échauffée. »

Island presse donc les vinyles en Angleterre, l’album et le single (avec Brand New Second Hand en face B)—notre fameux disque devenu ultra-rare. Car nouveau revirement ! Legalize It sort finalement sur... Virgin ! Ordre est aussitôt donné de détruire les disques pressés par Island. Seuls quelques-uns réchappent au « massacre ». D’où leur infime rareté.


Curieusement, plusieurs albums sortis sur Virgin comme Trench Town Mix Up des Gladiators, Right Time des Mighty Diamonds ou Dread Ina Babylon de U Roy, ont failli voir le jour sur Island. Tout comme Legalize It, quelques rares exemplaires ont été pressés pendant un très court laps de temps par Island avant de sortir officiellement sur Virgin. Plus curieux encore, les exemplaires pressés par Island (eux aussi devenus très rares) ont tous un numéro de matrice, ou de série, Virgin records ! Toujours plus curieux, seuls l’album et le 45 Tours Legalize It ont été référencés officiellement au catalogue Island. Le spécialiste Olivier Albot commente : « Les autres portaient un tampon Island mais un numéro de matrice Virgin. » Une étrangeté de plus dans ce puits sans fond qu'est l'histoire du reggae.

Texte & photos : Thibault Ehrengardt

Remerciement : Olivier Albot.

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