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Paul Bogle est-il Paul Bogle ?

La photo du héros national Paul Bogle représenterait, en fait, un teinturier américain.
Héros national jamaïcain, Paul Bogle (1820-1864) se retrouve, 150 ans après sa mort, au centre d’une polémique historique. Originaire de la paroisse orientale de Saint Thomas, il prend une part active dans la fameuse Morant Bay Rebellion en 1865 aux côtés d’un autre héros national, William Gordon. Dans la chanson Jah See Dem Ah-Come, le chanteur Joseph Hill du groupe Culture, cite le noms de ces deux hommes. Interrogé à leur sujet, il rétorquait : « Ils ont fait en sorte que les Blancs cessent de se servir des Noirs comme marchepieds pour monter sur leur chevaux. » Capturé par les Anglais suite aux troubles de Morant Bay, Paul Bogle est jugé puis pendu par le Gouverneur Edward John Eyre—il sera relevé de ses fonctions suite à cette émeute qui provoqua un véritable cataclysme politique jusqu’en Angleterre, où l’on jugea qu’il s’était montré trop violent.
Symbole de rébellion, Paul Bogle dort depuis 1969 au panthéon des héros nationaux. Son regard droit et fier nous fixe depuis l’au-delà à travers un cliché classique censé le représenter. Censé ? Depuis quelques années, on s’interroge : l’homme sur le ferotype (procédé photographique) est-il réellement Paul Bogle ? Ou un teinturier américain du nom de Thomas L. Jenning ? Ce dernier, inventeur de la teinturerie en 1821, vivait aux USA. Et lorsque le magazine BET lui consacre un article, en 2002, c’est avec la photo de « Paul Bogle » qu’il l’illustre ! Que s’est-il passé ? Découverte sur le tard, en 1971, la photo officielle de Paul Bogle n’a jamais été formellement authentifiée. Les archives de la National Library of Jamaica indiquent : « W. G. Ogilvie, membre de la Jamaica Historical Society, a trouvé une photographie qui, bien que n’étant pas formellement authentifiée, semble authentique. »
Les détracteurs du cliché officiel remarquent que le personnage représenté porte des habits de belle facture—Bogle n’était-il pas un pauvre paysan ? Ils ajoutent que la photographie n’existait pas en Jamaïque à l’époque. Le découvreur du document, Ogilvie, précise le tenir d’un certain Reuben Ewen, vivant à Spring Garden, un village peu éloigné de Stony Gut, à Saint Thomas. « Bogle, précise un article du Gleaner, a vécu aux deux endroits. » En fait, la grand-mère d’Ewen était la nièce de Paul Bogle. Et depuis toujours dans sa famille, on lui a assuré qu’il s’agissait bien d’un portrait du héros national. La photographie a d’ailleurs fait ses premier pas en Jamaïque dès les années 40— le ferrotype, lui, fut inventé en 1852 par un Français.
« Un homme très noir de peau, à la peau brillante, ayant des cicatrices prononcées
de variole sur le visage, tout particulièrement sur le nez. De bonnes dents, une large
bouche avec des lèvres épaisses et rouges ; mesure 1,74 mètre, de larges
épaules, attitude indolente et ne porte pas de moustaches. »
Ainsi le décrit l’avis de recherche lancé contre lui en Octobre 1865 et publié dans le Colonial Standard—on offrait alors une récompense de 200£ pour sa capture.

Au-delà de cette description qui cadre avec le portrait, les historiens ajoutent que Bogle n’était pas un pauvre travailleur de la terre mais un activiste, paysan et fermier, propriétaire terrien et un prêcheur Baptiste ayant sa propre chapelle—un homme qui pouvait se payer un beau costume, surtout pour prendre une photographie. D’après le professeur Clinton Hutton de la University of the West-Indies, le ferrotype aurait été pris au studio Duperley, là où son associé William Gordon se fit lui-même tirer le portrait à la même époque. L’original est aujourd’hui conservé à l’Institute of Jamaica.
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