Portraits : Jamaican Street Artists (2)
2. RICKY SOUL
Dans la fosse aux lions...
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Sur l’un de ses titres en mode « fâché », le chanteur Anthony B. prévient ses ennemis : Je sais me servir d’un flingue depuis que j’ai dix ans, j’ai grandi à Cockburn Pen. C’est exactement là que notre véhicule s’engage ce jour-là, attiré par les superbes fresques qui recouvrent les murs de la station de radio Roots FM sur plus de 50 mètres ! Il s'agit d'une magnifique "passion du Christ", retraçant les différentes étapes de la crucifixion dans un style liturgique traditionnel, si ce n'est que ce Christ-là a la peau noire. Il s’agit d’une commande des administrateurs de Roots FM, une radio chrétienne, comme on dit en Jamaïque. Á la fois naïves et puissantes, ces peintures trahissent le talent très pur de Ricky Soul, alias Ricky Culture.
Á côté de ces fresque, Ricky Soul a ajouté un portrait de Bob Marley, une scène de baptême et une autre de Rastas œuvrant à améliorer leur communauté. Depuis 50 ans, Ricky Soul n’a jamais cessé de peindre. Jeté tout au fond de cette fosse aux lions, tel Daniel, il a gardé la foi et poursuit son pèlerinage à Babylone, guidé par son pinceau. Il y a, dans ses peintures, un relent d’enfance qui, au milieu de l’un des ghettos les plus durs de Kingston, n’en prend que plus de force.
La première fois que nous rencontrons Ricky Soul, c’est en 2001. Il a alors 41 ans et la conviction que « le temps joue en (sa) faveur. » Artiste autodidacte, il préfère s’épanouir au contact de la rue, là où l'on ne tentera pas de « corrompre » son talent par des enseignements qui, sous couvert de technicité, pourraient éteindre son inspiration. D’une gentillesse et d’une humilité désarmantes, Ricky nous reçoit chez lui, à Cockburn Pen, en s’excusant de ne pas allumer la lumière ni de nous offrir un verre d’eau. Les temps sont durs, à Babylone, surtout pour les artistes, et Ricky peine à payer ses factures.
Dans son « yard », des peintures, dans son salon, pareil. Sur tous les murs autour de chez lui on trouve sa signature. Mais tout ceci ne nourrit pas son homme ; du moins pas physiquement.
Ricky Soul nous entraîne vers une belle villa adjacente, celle du fils du célèbre artiste Ras Michael. Là, nous rejoignons un groupes de musiciens qui répètent dans la petite cour exiguë des lieux (voir vidéo). Sur fond de percussions traditionnelles, Ras Michael Junior entonne un chant : keep cool Babylon, you don’t know what you’re doing... Ricky Soul assure les solos au repeater, une place réservée aux joueurs sinon les meilleurs du moins les plus créatifs. La répétition terminée, Ricky nous entraîne dans les rues de Cockburn Pen, à la découverte de ses œuvres. Hailé Sélassié est son inspiration première, et il le revendique. C’est sa foi inébranlable qui l’aide à vivre ainsi dans la fosse aux lions, persuadé au-delà des difficultés et des années qui passent, que ce qu’il fait à un sens profond. Et c’est exactement cette détermination sereine qui émane de ses merveilleuses fresques.
Thibault Ehrengardt
Retrouvez l'histoire et les oeuvres de Ricky Soul dans le livre :
English Version...
Singer Anthony B. warns his enemies on one of his « bad boy » tunes: I can buss a gun from me ten, cause we grew up at Cockburn Pen. That’s exactly where we’re heading that day, attracted by the dozens of gorgeous paintings that cover the walls of the Roots FM radio station. We know the place, and we recognize the style of the paintings at once. Both naive and powerful, they bear the seal of Ricky Soul’s talent. These paintings were an order from the religious owners of the Christian radio station: they represent the passion of the black Christ, in a traditional way. Jesus bearing his cross... Jesus falling for the first time... Jesus being crucified... Ricky Soul added a fascinating scene of baptism, as well as a scene of Rastas working for the betterment of their community. Ricky Soul has been painting for almost 50 years now. Like Daniel in the lion’s den, he has never lost the faith. There’s, in his work, something reminiscent of childhood—and in the middle of such a community, this is even more striking.
The first time we met Ricky was in 2001; he was 41, and convinced that « time was on his side ». A self-made artist, he enjoys nurturing his talent in the street, far from the corruption of the scholar standards. Gentle and humble, Ricky Soul resembles his painting. He welcomes us at home, apologizing for not turning the light on or offering us a glass of water. Times are hard, in Babylon, and he has trouble, sometimes, to make ends meet.
Ricky Soul takes us to a nice house round the corner that belongs to the son of famous musician Ras Michael. Here he joins a group of musicians, who are rehearsing in a tiny yard. Ras Michael Junior sings: keep cool Babylon, you don’t know what you’re doing... Ricky plays the solos on the repeater, the role of the best players—or the most creative ones. Then, he takes us for a walk in Cockburn Pen, showing us his many and beautiful paintings. He’s mostly inspired by his faith, and the portraits of Selassie are many. That’s what guides him in the lion’s den; he knows that, notwithstanding hardship, what he’s doing has a deep meaning. This serene determination gives life to his work.
Thibault Ehrengardt