Mourir à Paris au XVIIIe siècle... L'Hôtel-Dieu.
Pour la rentrée, reprise de nos petits tableaux de Paris au temps des Lumières, tirés de l'ouvrage "abominablement passionnant" (Télérama) Vivre & mourir à Paris au XVIIIe siècle de Mercier. Aujourd'hui, on va surtout parler de la manière de... mourir pauvre à Paris à cette époque où l'Homme était encore à la recherche de son humanité et des moyens de l'exprimer. Bienvenue à l'Hôtel-Dieu... Vous qui entrez dans cet hôpital, craignez de n'en ressortir qu'au tintement lugubre de la cloche qui, chaque nuit, annonce le passage du terrible "chariot pour Clamart" !
Extrait du livre :
"- Vous vous souciez plus tôt de savoir si j’avais bien dormi. Or, au beau milieu de la nuit, une cloche retentit sous mes fenêtres qui me tira du lit. Et je m’écriai avec Boileau : Qui frappe l’air, bon Dieu, de ces lugubres cris ? Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ?
- Malheureux ! Avez-vous regardé dans la rue ?
- Pour découvrir un lugubre spectacle, en effet.
- Le chariot pour Clamart ! Toutes les nuits à quatre heures, il porte les corps que l’Hôtel-Dieu vomit journellement vers ce vaste cimetière, dont le gouffre reste ouvert en permanence.
- Qu’est-ce donc que cet hôtel, qui porte le nom du Seigneur ?
" C’est là que vont mourir les pauvres. (...) Ces corps n’ont point
de bière : ils sont cousus dans une serpillère."
- Las, un fatal secours ! Un appât trompeur & funeste. C’est là que vont mourir les pauvres. Mon père y est mort, disent-ils, j’y mourrai aussi. Et les voilà à moitié consolés. La maison de Dieu, on ose l’appeler ainsi ! Le mépris de l’humanité semble ajouter aux maux qu’on y souffre. Le médecin, le chirurgien, sont payés, d’accord ; les remèdes ne coûtent rien, je sais ; mais on y couche le malade à côté d’un moribond ou d’un cadavre. On le plonge dans un air rempli de miasmes putrides ; on sera indifférent de l’enlever comme un mort ou comme convalescent. Tout est dur & farouche dans ces lieux où tout souffre. Ne fuiriez-vous pas cet hospice sanglant & dénaturé ? Il a été fondé en 660, pour y recevoir les malades de l’un et de l’autre sexe, le Juif, le Turc, le protestant, l’idolâtre comme le chrétien. On y trouve mille-deux-cents lits, & cinq ou six mille malades. L’Hôtel-Dieu a tout ce qu’il faut pour être pestilentiel, à cause de son atmosphère humide & peu airée ; les plaies s’y gangrènent plus facilement, & le scorbut & la gale n’y font pas moins de ravages. Il y meurt, chaque année, le cinquième des malades qui y entrent. Ces corps n’ont point de bière : ils sont cousus dans une serpillère. On se dépêche de les enlever de leur lit, & plus d’un malheureux réputé mort s’est éveillé sous la main hâtive qui l’enfermait dans ce grossier linceul. D’autres ont crié qu’ils étaient encore vivants dans le chariot même ! Ce dernier roule dans le silence de la nuit, traîné par douze hommes, & précédé d’un prêtre sale & crotté, armé d’une cloche et d’une croix ; voilà tout l’appareil qui attend le pauvre. Mais alors, me direz-vous, tout est égal."
(...)
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