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Emperor Faith / Part 2.

Deuxième partie de notre reportage sur la renaissance d'un sound system mythique du début des années 70, l'un des rares à avoir battu King Tubby's alors au faîte de sa gloire. C'était à Saint Thomas, en février dernier.

Capleton

Emperor Faith a une aura unique, celle de Studio One. Pour écouter les meilleures pre-releases (ancêtres des dub plates) au début des années 70, il fallait aller à ses soirées et nulle part ailleurs. Ses galettes noires et lourdes, gravées en un exemplaire unique, Mikey Faith les obtient alors directement à la source, au 13 Brentfoard Road. Coxsone lui fait souvent écouter les dernières productions, dont il propose ensuite de lui vendre des mix inédits et uniques, réalisés au moment même où se grave le sillon dans l’acétate, par le biais des fameuses « dub machines ». Pour cela, Mikey dépense de l’argent, beaucoup d’argent. « Je l’ai toujours dit, rigole-t-il, tu ne peux pas avoir un bon sound system si tu n’as pas d’argent. Les disques valent cher, sans parles des dub plates, des artistes qui se produisent en live. C’est comme ça, faut flamber. » A l’époque, ce n’est pas un souci pour lui ; Mikey est un « fils de bonne famille », il n’a jamais eu de souci d’argent. Mais ce qui le fait vibrer, c’est le son de Trench Town, les rumeurs identitaires aussi, les humeurs séditieuses qui naissent dans les arrière-cours des bidonvilles. Il traîne avec Mortimer Planno et les premiers Rastas, devient un proche de Bob Marley et de Peter Tosh qui passent régulièrement chez lui pour donner des coups de fil à l’étranger. Il a même donné l’argent nécessaire à la production du titre Trench Town Rock (sans doute le meilleur de tous), sorti sur le label des Wailers ! « Un jour, se rappelle-t-il, Bob m’a dit : Mike, je veux que tu deviennes mon manager. C’était le début des années 70, il n’avait pas encore signé chez Island. J’ai refusé. Et c’est l’un des plus grands regrets de ma vie ! » éclate-t-il de rire. A cette époque, armé du matériel confectionné par son ami proche King Tubby, Mikey passe des « dub plates » pendant des heures ! On raconte même qu’il ne joue quasiment jamais un disque acheté dans le commerce tant son bac à sélections est immense. On rêve de telles sessions de nos jours... Mais nous n’en aurons qu’un avant-goût, ce soir de février 2018, à St Thomas. Pendant une petite heure, juste avant l’arrivée des deejays, Mikey passe quelques somptueux titres : Truths and Rights de Johnny Osbourne, ou une version magique du Drifter de Dennis Walks. Mais malheureusement, la soirée s’appelle « Rub A Dub », et l’idée est de replonger dans l’ambiance des années 80, pas dans celle des années 70. Curieusement, Capleton est même attendu pour clôturer cette soirée. Exit Studio 1... bienvenue à the original Peter Metro !

Mikey Faith (droite)

Reggie Stepper & Peter Metro

Ancien deejay résident au sound de Metromedia, Peter Metro est une icône dance hall, c’est-à-dire du rub-a-dub du début des années 80. Avec Yellowman, Fathead ou Sinbad, il a enregistré quelques classiques du genre, sur des rythmes à l’allure pachydermique qui ont enflammé les soirées de Kingston après une éprouvante décennie placée sous le signe de la politique. Impeccablement habillé, il anime ce soir le show avec un professionnalisme décontracté, alternant courtes blagues et toasts brûlants. L’avantage, en Jamaïque, c’est que le line-up des artistes s’avère toujours plus riche que celui annoncé sur l’affiche. Reggie Stepper n’était pas attendu, il intervient soudain, faisant trembler les enceintes de sa voix surpuissante au gré de tubes comme Little Miss, Drum Pan Sound ou Cu Oonuh. Tandis que Mikey assure les mix en retrait, Chronicle ou Michael Levy s’invitent au micro, suivis de Tony Tuff. Insaisissable artiste très rare en live et encore plus en interview, Tony Tuff a signé quelque joyaux au fil d’une carrière discrète mais prolifique. Ancien membre des African Brothers aux côtés de Sugar Minott, il a enregistré pour Yabby You avant de percer en mode rub-a-dub. Au début des années 90, il enregistre même une somptueuse version du Satta Amassagna riddim pour Studio One, l’indispensable Cool It. Mais la déception est à la hauteur des attentes. Tony Tuff ressemble à un papi tout sérieux, avec sa casquette et ses lunettes mais, surtout, il pousse deux trois notes qui suffisent à vous rendre dingue.... puis s’arrête et passe le micro à quelqu’un d’autre. Il apparaîtra ainsi deux ou trois fois au cours de la soirée, pour des prestations de quelques secondes à peine. « Ouais, nous confie un spectateur averti avec un flegme tout jamaïcain, il est comme ça Tony. Parfois même, il chante du Bob Marley pendant un quart d’heure et s’en va sans chanter ses propres chansons... » Pas le temps de se lamenter, Carlton Livingston entre en scène. Le « gentleman chanteur » a conservé une voix impeccable et refait son tube 100 Weight of Collie Weed comme si nous étions en 1984 ! Il dégage, avec le temps, une sorte d’aura apaisante qui lui vaut les louanges de tous les spectateurs. Dans un autre genre, le déroutant Dillinger n’entonne qu’un seul titre, Crash Program, une chanson pro-PNP enregistrée pour Bernard Collins des Abyssinians en 1972 ! Curieux choix mais c’est pour ça qu’on adore Dillinger, parce qu’il n’arrive jamais là où on l’attend. Et puis, de toute façon, il s’en tape. Comme l’indique sa casquette, ça fait longtemps qu’il est le BOSS. Tristan Palma surgit aussi au milieu des va-et-vient du micro, affichant une forme vocale resplendissante. Le rôle de Mikey dans ce juggling fiévreux s’avère plutôt secondaire. Il s’agit de mixer, de choisir les riddims mais n’importe quel selector un peu habile s’en tirerait. Plus anachronique encore, il se retrouve bientôt à assurer le « backing » pour Capleton.

Tony Tuff au micro

Tristan Palma

Des spectateurs enthousiastes

Carlton Livingston

Alors que je me promène du côté de la buvette, je tombe nez à nez avec un Rasta qui se plante fier comme un guerrier Massaï devant moi. « Hey, me dit-il. Tu sais que King Shango est dans la place ? » Il m’entraîne ensuite d’autorité vers un coin sombre où trône toute la cour de Capleton. La tête enturbannée de tissus chatoyants, les Bobos de la King’s House jouent la même mise en scène qu’ils jouaient déjà lorsque je les croisais vingt ans plus tôt. Certains sont là depuis cette époque, d’ailleurs. Dont le peintre Balla ou encore Lucani ou le porte-drapeau attitré, chargé de mettre « l’ambiance visuelle » en faisant flotter une bannière rasta au-dessus de Capleton au cours de sa performance. Capleton a la barbe grisonnante aujourd’hui, mais conserve cette densité physique qui se retrouve jusque dans son regard. L’entrevue est de courte durée, on l’appelle au micro. Aussitôt, la délégation bobo se met en marche, fendant la foule d’un pas martial. Dès que la star apparaît, les téléphones portables sortent des poches et projettent leurs flash aveuglants. Certains filmeront du début à la fin, plongés dans une hypnose aux allures d’hébétude. Pas question de regarder Capleton chanter à deux mètres d’eux (car en Jamaïque, il chante parmi la foule), non ; ils vivront le concert par l’entremise d’un écran de smartphone, s’assurant de leur cadrage pour rentrer chez eux avec un son inaudible (les basses saturent direct les micros) et des images de basse définition...

Capleton

Capleton

Après un discours limite conspirationiste sur les méfaits de l’Occident, Capleton met finalement tout le monde d’accord en écrasant l’auditoire d’un Raggy Road rageur au possible avant d’enchaîner tous ses plus gros hits dont That Day Will Come ou encore l’incontournable Jah Jah City. Une belle prestation d’une heure, pleine d’énergie et de talent. Le « Prophet » termine son set quelques minutes à peine avant l’intervention de la police qui, pour une histoire de son trop fort (l’événement se déroule pourtant en bord de mer, le long de la route isolée), met finalement un terme à la soirée. Emperor Faith remballe donc son matériel ; de lourdes caisses de dub plates comme au début des années 70 ? Non, car il joue désormais sur ordinateur. Mais en revanche, « Babylon » interrompt encore ses soirées, comme à la bonne vieille époque où le titre « Three Blind Mice » de Max Romeo passait dans les sound systems, pour relater une descente de police au milieu d’une soirée. Il y a les smartphones, les ordinateurs portables, et puis il y a les choses qui ne changent pas.

FIN

Emperor Faith poursuit sa renaissance en se produisant le 18 juillet à Portland, en Jamaïque, au cours de la soirée Who Rule the 70, 80 & 90s, aux côtés de Killamanjaro et Black Scorpio.

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