La Fureur prend la parole... gare aux mensonges !
La sortie de Vivre & mourir à Paris au XVIIIe siècle (DREAD Editions), a relancé les commandes d'un autre ouvrage de la même collection, La Fureur mensongère... Occasion idéale pour ressortir un entretien réalisée avec cette insaisissable chimère lors de la sortie de cet ouvrage !
Très chère Fureur Mensongère, ce petit ouvrage narrant votre règne aux Amériques sort aux éditions DREAD. N’est-ce pas étonnant ? En tant que furieuse, je m'étonne jamais de rien, car je m'attends toujours à tout. En revanche, je me réjouis beaucoup, notamment à l'occasion de la parution de ce charmant ouvrage. Pourquoi pas DREAD Editions ? Je ne suis d’aucune nation ni d’aucune époque, j’obéis et me plie à tout maître qui invoque mon nom. La Folie, ma tendre cousine, a été louée en son temps dans un ouvrage fort estimé *. J’en fus ravie pour elle mais enfin, ne méritais-je pas mon propre ouvrage ? Vous voyez à travers ces pages que la découverte de ce que vous appelez Amériques suite à une fureur mensongère n’a pas été le moindre de mes triomphes.
Justement, très chère Fureur, en quoi l’Homme doit-il vous rendre hommage, vous qui l’égarez sans cesse ? L’égarer ? Vous vous égarez, jeune homme – la Fureur ne dirige pas les Hommes, ce sont eux qui en appellent à moi. De tout temps, en toute contrée, on m’honora et on me dressa des autels. Aux Amériques, ceux que vous appelez Indiens alors qu’ils vivent bien loin du Gange, m’élevaient des temples bien avant l’arrivée des Européens - qu’une fureur les poussa à croire d’essence divine. De plus, n’allez pas me confondre avec mon grossier cousin le Mensonge. Car je suis toute fureur – seul m’intéresse le mensonge grandiose, celui qui illumine et pousse l’Homme à l’action. La bête manie de mentir sans ambition me dégoûte. De même que celle du mensonge intéressé...
Est-ce pour cela, très chère Fureur, que vous dites dans cet ouvrage que votre cousine la Fureur Aurifère vous lassa, elle qui joua un rôle important dans le mythe de l’Eldorado ? N’allez pas me brouiller avec ma famille, la Fureur Aurifère ne saurait me lasser. Seuls les Hommes m’ennuyèrent à ainsi lui sacrifier leur vie. J’aime le mensonge furieux, celui qui sublime les Hommes, pas celui qui les abrutit. Lorsque Colomb découvre l’Amérique, il pense avoir trouvé une voie nouvelle vers les Indes. Il a à la fois tort et furieusement raison. De même qu’il pense avoir trouvé le paradis terrestre, souvenez-vous. Que cette fureur m’est chère... Le paradis terrestre, le vrai ? Le seul et unique, très cher – le jardin d’Adam et Eve. Colomb était dévot, le saviez-vous ? Un vrai petit dévoreur de Bible ; à la limite de la superstition. C’est d’autant plus étonnant de l’entendre dire que ce fameux paradis devait se situer au sommet d’une excroissance du globe pareille à un téton de femme. Certains qui connaissent bien les femmes ne le contrediront pas, d’ailleurs. Mais il avait ses raisons de penser ainsi. On a toujours de bonnes raisons d’en avoir de mauvaises. Ainsi règne la Fureur Mensongère sur les esprits échauffés. J’ai aimé mon Colomb, ce brave serviteur. Il a beaucoup oeuvré à ma gloire. En inspirant Amerigo Vespucci qui a finalement donné son nom à l’Amérique suite à un furieux mensonge, vous lui avez pourtant tout repris, très chère Fureur. Je lui ai tout donné, au contraire. Ses rêves les plus fous comme ses plus belles réussites. Il entendait la voix des anges, le saviez-vous ? L’un d’eux lui avait même dit que la découverte des Amériques n’était qu’une étape divine dans la reconquête du Saint Sépulcre. Et bien sûr, pour cela, Dieu comptait sur lui. Un brave homme, vous dis-je.
Vous semblez en vouloir aux raisonneurs de tout bord dans vos discours, notamment à Voltaire. Hum ? Oui, peut-être... Ces petits pisse-froid m'indiffèrent, leur entendement soi-disant supérieur ne porte guère à conséquence. Mais je n'aime pas les rabat joie. S'ils veulent souffrir les affres de la vérité, bien leur en prenne. Mais qu'ils laissent mes heureux serviteurs se réjouir du fond de leur fureur. C'est bien moi qui les anime et les aide à se sentir vivants, non ? Pourquoi refusez-vous d’être prise en photo, très chère Fureur ? (rires) Décidément, chers humains, vous serez à jamais tels que je vous aime, indécrottables. Je ne saurais être saisie, mon ami. Je n’ai pas un visage, j’en ai mille ; pas une voix mais des millions, ni même une âme mais des milliards. Une photo de la Fureur mensongère ? Voilà qui ferait une belle fureur mensongère, en effet. Réfléchissez là-dessus, je compte sur vous pour la mener à bien. Qu’attendez-vous de cet ouvrage, très chère Fureur ? Rien. Sinon un peu de reconnaissance, ce qui me semble bien légitime. Car ces furies mensongères ne représentent qu’une infime parcelle de mon royaume sans bornes. Elles sont d’un autre temps, aussi. Et votre royaume, très chère Fureur, semble aujourd’hui bien moins vaste que vous ne le dites. L’Homme a fait des avancées spectaculaires. Comment dites-vous (Rires) ? Spectaculaires (rires) ! Vous avez toujours été si imbus de votre faible entendement. C’est la luciole qui voulait se faire aussi grosse qu’un phare. Plus l’Homme se croit éclairé plus il avance dans les ténèbres et plus il en découvre moins il en sait. Croyez-moi, mon règne jamais ne fut sur le déclin - aujourd’hui moins encore qu’hier. Vos arrogantes certitudes me touchent, moi qui suis d’une nature si bonne. Mais elles ne reflètent que l’étendue de vos ignorances. Et vous descendants riront de vous comme vous riez de vos ancêtres. Mais assez parlé de vous, parlons plutôt de moi. Ou plutôt lisons à mon sujet. Lecteur ! Ce petit ouvrage habilement travaillé et agrémenté de jolies gravures plus furieuses les unes que les autres, t’éclairera sur moi et un peu sur toi. Va, lis et honore-moi. Lis et, surtout, pense à moi. * L'Eloge de la Folie, d'Erasme (nde).