Bienvenue à Paris !
La circulation à Paris ? Un cauchemar depuis toujours... Et un danger de chaque instant au XVIIIe siècle.
En 2016, un groupe de chercheurs de l’Université de Lyon 2 a sorti une reconstitution audio de Paris au 18e siècle : news.cnrs.fr/articles/sound-18th-century-paris. Captivante vidéo à laquelle il manque néanmoins l’essentiel, les gens. Heureusement, un livre nous permet de retrouver les petits travers et les grandes misères des Parisiens au siècle des Lumières. Á l’aube de la Révolution française, promenons-nous dans les rues de Paris, à la recherche de ces mille et un tableaux peints sur le vif. Notre guide ? Louis-Sébastien Mercier !
Mercier (1740-1814) fut un écrivain prolifique, versé dans la philosophie de son temps. Auteur de dizaines de pièces de théâtre et de centaines de petits papiers sur Paris qui paraissent dans diverses gazettes. En 1780, onze ans après son célèbre roman d’anticipation sociale L’An 2440, il compila quelques douzaines de ces papiers pour former ce qui allait devenir son livre le plus connu, Le Tableau de Paris. La première édition (Neuchâtel, 1780) vit le jour en deux volumes et bien que Mercier refusât de céder aux sirènes de la satire, son ouvrage déplut en haut lieu, où l’on n’aimait guère les critiques, fussent-elles portées sur quelque ruelle. Mercier alla donc s’installer en Suisse, hors de portée des fureurs de la monarchie. Il mit cette retraite forcée à profit pour préparer une seconde édition plus conséquente du Tableau de Paris. « Je n’ai fait ni inventaire ni catalogue, prévient-il, je n’ai voulu que peindre, & non juger. » Son livre, d’une lecture truculente, n’en dresse pas moins un plan critique d’une ville que Voltaire décrivait comme « un fracas de merveilles » et qui apparait dans toutes sa grandeur et toute sa noirceur. Loin des toiles pour intérieur bourgeois, le coup de crayon de Mercier s’avère acéré et parfois douloureux. Il descend au plus près des Hommes, traquant ces « petits riens » qui font leur vie, et leur mort, touchant par là-même à l’universalité des âmes. On y croise beaucoup de misère, en vérité. Mais, se défend l’auteur, si dans ces tableaux, « comme dans ceux de Rembrandt, les couleurs noires dominent, ce n’est pas notre faute ; c’est celle du sujet. »
Première étape : la circulation à Paris.
Mercier : Sachez, jeune homme que contrairement à Londres, Paris ne dispose pas de trottoirs et que les piétons sont les victimes incessantes des véhicules lancées à grande vitesse sur le pavé. Cette guerre opposant « fantassins » (piétons) et « cavaliers» (les véhicules) se livre à chaque instant, au péril de la vie des premiers. Gare aux voitures, donc ! Voyez passer dans ce carrosse un médecin en habit noir, un maître à danser dan s ce cabriolet, & ce prince qui court à six chevaux ventre à terre comme en rase campagne ! Ainsi leurs roues menaçantes volent sur le pavé teinté du sang des malheureux qui expirent sous leurs roues dans d'effroyables tortures ! Les accidents sont si nombreux qu’il existe des tarifs pour un bras, une jambe ou une tête brisé. Gare gare ! crient les domestiques pour s’annoncer depuis le bout de la rue ; parfois quelques gros chiens courent devant l’équipage à vive allure. Jean-Jacques Rousseau fut lui-même victime de l’un de ces molosse danois, qui le renversa en 1776—le conducteur marqua à peine une pause tandis qu’on ramassait le pauvre homme dans la rue. Apprenant qui il avait ainsi manqué de tuer, il envoya le lendemain quelqu’un chez lui, demandant ce qu’il pouvait faire pour lui plaire. « Tenez votre chien attaché ! » rétorqua Rousseau.
Le jeune homme : Que faire, dès lors, lorsque survient un carrosse ?
- Il vous faut vous plaquer sur les côtés en retenant votre respiration ; soyez particulièrement prudent lorsque vous repérez quelque tas de fumier étalé sur le pavé ; il a été étalé sur l’ordre de quelque riche marquis à mal au crâne et qu’il souhaite atténuer le bruit que font les équipages qui passent sous ses fenêtres. Et un cabriolet silencieux s’avère bien plus dangereux qu’un cabriolet bruyant ! Car rien de l’annonce.
- Faudra-t-il expirer sous les roues d’un carrosse parce que M. le Marquis a une indigestion ?
- Je le crains fort ! Sans compter que ce fumier, piétiné par mille passants, se transforme bientôt en mare boueuse et puante dans laquelle on s’enfonce jusqu’au genou.
(à suivre).