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Extrait : il y a des géants en Patagonie....
Notre ouvrage La Fureur mensongère fait un tour d'horizon des chimères qui ont vu le jour suite à la découverte du Nouveau Monde, en 1492. Elles dévoilent l'ampleur de notre ignorance et dévoilent bien des recoins (tantôt sombres, tantôt lumineux) de l'âme humaine. Aujourd'hui, extrait du livre sur : LES GEANTS DE PATAGONIE...
"1519. Magellan part à la tête de cinq vaisseaux depuis la vieille Europe. 1522. Seul un d’entre eux rentre au bercail, décimé de son équipage et privé de son capitaine. Le premier tour du monde ? Un véritable chemin de croix.

Gravure allégorique de Magellan, fendant les flots et faisant reculer les ténèbres de l'ignorance en bravant monstres et merveilles (Théodore de Bry).
Au début de l'année 1520, Magellan et ses hommes décident d'hiberner du côté de Port Saint Julien, près de l'actuelle Patagonie. Deux longs mois d'attente surviennent alors, soudain rompus par la plus inopinée des apparitions. Antonio Pigaffeta, l'un des survivants de ce premier tour du monde, écrit dans son récit paru en 1525 : « Toutefois un jour, sans que personne n'y pensât, nous vîmes un géant qui était à la rive de la mer, tout nu, et dansait, sautait et chantait. » Magellan, curieux de nature, demande à ce qu'on lui amène cet énergumène. « Il était tant grand, décrit Pigaffeta, que le plus grand de nous ne lui venait qu'à la ceinture, combien qu'il était de bonne disposition. Il avait un très grand visage, peint de rouge à l'entour, et ses yeux étaient aussi peints de jaune par autour, et au milieu des joues, il avait deux cœurs peints. Il n'avait guère de cheveux à la tête et ils étaient peints de blanc. » Cette signe l'extrait de naissance de l'un des mythes les plus endurants du Nouveau Monde, celui des géants de Patagonie.
" Il était tant grand que le plus grand de nous
ne lui venait qu'à la ceinture... "
Le complaisant Abbé Feller, dans son Dictionnaire Historique, trouve une explication à cette fureur mensongère qui frappe une si illustre équipée. Ils seront tombés sur des Indiens « un peu plus grands que des Nègres » qu’ils n’auront pas pris le temps de bien examinés. Ha, pardon, M. l'Abbé ! Pigaffeta prend grand soin d'examiner non pas un, mais une douzaine de géants, et non pas l'espace d'une fugace rencontre mais bien d'une longue cohabitation. Le premier géant, confronté à son reflet dans un miroir, s'épouvante et recule tant « qu'il fit tomber trois ou quatre de nos gens par terre ». Un homme auquel on arrive à peine à la ceinture, mesure au bas mot 3 mètres de haut - et pèse dans les 150 kilos.Renvoyé sur la rive, le géant y est rejoint par un ami timide qui n'ose approcher. Soudain, il sort des géants de partout. Ne tenant plus de joie, tous se déshabillent pour danser gaiement. Dans l'euphorie, plusieurs osent s'aventurer sur le navire de ces petits gens curieux qu'ils pensent, nous dit Pigaffeta, tombés du ciel. Ils viennent avec un seul arc pour tout bagage, mais pas seuls - leurs femmes, qui transportent tous leurs effets, les suivent, qui ne sont pas si grandes que les hommes mais plus grosses assez. Epouvantés et ébahis par leurs « tétins longs d'une demi-brasse », les Espagnols ne se formalisent pas trop longtemps et s'en vont à la chasse avec pas moins de dix-huit géants ! Six jours plus tard, des hommes descendus à terre pour couper du bois croisent un autre géant, plus grand et mieux conformé que les autres, et avec ça, une personne fort gracieuse et aimable, aimant à danser et à sauter. M. de Paw s'emporte contre cette relation, fruit d'un « ultramontain », qui sans fonction et sans caractère avait fait la course sur ce navire - la Victoire, le seul rentré au port. Il blâme la crédulité et le manque de lumière qui poussent ce furieux à rapporter des fables si grossières. Nous trouvons-nous face à un mensonge délibéré ? Comment expliquer telle fureur ? Magellan se doute qu'on ne le croira pas si facilement. Aussi se saisit-il de deux nouveaux géants venus de manière candide à bord - c'est dire s'il n'en manque pas dans la région. Triste scène rapportée par Pigaffeta que celle de ces deux grands nigauds réjouis des chaînes qu'on leur présente jusqu'à ce qu'ils en comprennent l'utilité; car on a résolu de les enlever. Alors seulement, joués par ces diables de nains tombés des nues, ils commencèrent à bouffer et à écumer comme des taureaux, en criant fort et haut « Setebos », c'est-à-dire le grand diable, qu'il les aidât. Mais un diable bien plus puissant œuvre alors contre leur idole. « Le premier mourut au bout de quelques jour parce qu'il s'obstina à ne vouloir prendre aucune nourriture, reprend De Paw. Le second vécut jusqu'à son arrivée à la mer du sud, où le scorbut le tua. » (...) Les Espagnols prennent le soin de baptiser le malheureux avant son trépas, signe de leur grande mansuétude.

Détail d'une carte représentant les Géants (à droite) du détroit de Magellan. On remarque les sirènes qui entourent le navire, à gauche : les voyages du bout du monde baignent alors dans un océan de merveilles et de fantasmes.
Magellan n'est pas l'auteur de cette relation. Pour cause, ayant atteint la mer du sud par le détroit qui porte son nom, il s'implique dans les guerres locales du côté des Philippines et perd la vie au cours d’un affrontement. Ainsi périt à mi-chemin l'homme que l'histoire retient comme le premier à avoir fait le tour du globe. Et, accessoirement, à avoir rencontré ces fameux géants des terres désormais appelées magellaniques. (...) Le récit de Pigaffeta, imprimé en 1524, fait sensation en Europe. On imagine la gloire qui auréole ses rares survivants, on en juge à l'aune des choses extraordinaires croisées au cours d'un périple digne de l'odyssée. Ces géants doués d'une force peu commune semblent le lointain reflet de l'Antiquité. (...)
Les navigateurs suivants abordent les côtes de la Patagonie avec une appréhension mêlée d'espoirs - verront-ils, à leur tour, ces fameux géants ? Quiros, le premier à s’y risquer en 1524, n'aperçoit rien. Pas plus que les trois navigateurs espagnols suivants dont l'un, Camargo, hiverne lui aussi dans ces parages. A-t-il guetté, des jours durant, l'apparition « magellanique » de quelque géant dénudé dansant dans le froid ? 1577. Sir Francis Drake, premier circumnavigateur anglais, touche aux terres magellaniques. L'un de ses capitaines écrit, au retour d'un périple de trois ans, au sujet des Patagons : « Ces Sauvages ne sont pas de si grande taille que les Espagnols le disent ; il y a des Anglais plus grands que le plus haut d'entre eux. Les Espagnols ont sans doute abusé des termes dans leurs relations, n'imaginant pas que nous viendrions de sitôt ici pour les convaincre de mensonge. » (...) Pendant plus de deux cents cinquante ans, les avis divergent à ce sujet. Jusqu'au témoignage alors jugé irréfutable, celui d'un Commodore anglais, le très digne et respectable Lord Byron, qui touche aux terres de Patagonie à l'hiver 1764..."
Lisez la suite du mythe des Géants de Patagonie et de bien d'autres dans La Fureur mensongère (DREAD Editions / Le Moine marin) :