Errata instructifs Reggae & Politique...
Passé au crible d'impitoyables spécialistes des dates, le livre Reggae & Politique dans les années 70 de Thibault Ehrengardt (DREAD Editions), révèle quelques erreurs. Ça pique, mais c’est pour la bonne cause ! Certaines portent sur des décalages de dates. Par exemple, le film The Harder They Come de Perry Henzell, est sorti en 1972, et non en 1973 (page 100). Le single Legalize It de Peter Tosh date de 1975 et non de 1976 (page 102) ; l'album, de 1976, n’est quant à lui pas sorti sur Island, qui en a pourtant fait un test-press, mais sur Virgin au dernier moment ! Quant à Ride Natty Ride de Marley, elle est estampillée 1979, et non 1978. Mais celles qui s’avèrent vraiment « intéressantes », sont celles qui nous apportent une nouvelle lumière sur quelques points de détail.
1° STARVATION
En 1969, le journal d’extrême-gauche Abeng s’élève en première page, contre la censure du titre Starvation, l’adoubant « chant de notre époque » mais sans citer son auteur. Après des recherches poussées, nous pensions avoir identifié la chanson ; et nous l'attribuions aux Pioneers. Ce groupe a bien sorti un morceau de ce titre, mais un peu plus tard. Et selon toute vraisemblance, il il s'agit plutôt du terrible Starvation de la formation méconnue Boston and the Soulites (Gemini, 1969). Il propose une caniculaire ambiance « early rasta » (teintée de Mento), avec des percussions et des chœurs hérités des langues litanies rastas telles qu’on les chantaient alors du côté de Wareika, fief de Count Ossie. Le groupe dénonce la « famine » qui « tue la nation » et prédit des lendemains bien terribles ! On comprend mieux la censure. Nous écrivons dans Reggae & Politique dans les années 70 que la chanson des Pioneers ne semblait guère menaçante ; il faudra encore avoir confirmation du chanteur ou d’un acteur de l’époque, mais Abeng faisait probablement référence à ce titre. Une erreur rectifiée, et un titre flamboyant déterré !
2° TAKE THAT ROD FROM OFF OUR BACKS
Autre point de discussion très intéressant avec notre spécialiste Olivier Albot, la date de sortie de la fameuse chanson anti-Joshua (Michael Manley) signée Bill Gentles : Take That Rod From Off Our Backs. Reprenant un classique pro-Joshua signé Max Romeo, Let The Power Fall On I, l’auteur y fustige le politicien, parle de la famine qui ravage l’île (plus de lait de coco, plus de riz dans les magasins) et assène le coup de grâce : « Nous avions demandé un nouveau Moïse, Joshua / Mais un nouveau Pharaon nous crève les yeux ! » Dans le livre, nous datons ce titre (sorti sans date) de 1978. Cela pour deux raisons : d’abord les paroles semblent faire référence à cette période économique très noire ; ensuite parce que Max Romeo nous confiait que cette chanson l’avait « vraiment mis dans la merde », le forçant à quitter la Jamaïque. Et il a quitté l’île (fuyant la politique) vers 1978. Mais Olivier Albot relève que la matrice du disque (le numéro d’identification des usines de pressage de disques en Jamaïque), le situerait plutôt aux alentours de 1973 (le lien youtube partagé ci-dessus donne la même date). Il note aussi, et c’est un argument très convaincant, que le design du label Attack (de Bunny Lee) est très « vieillot ». En effet, il est typique de ces designs non-personnalisés que les usines de pressage proposaient aux producteurs qui n’en avaient pas. Et ce "fond" apparaît généralement au début de la décennie. Or, à la fin des années 70, Bunny Lee avait un logo bien établi. Difficile, encore une fois, de trancher sans le témoignage des acteurs de cette épopée (mais qui, parfois, se trompent, oublient... Et, malheureusement, Bill Gentles est mort voici quelques années) mais ce point est intéressant car cette dénonciation de Joshua serait particulièrement virulente pour la période ; et c’est une période où les premiers titres critiques envers le politicien sont sortis, dont No Joshua No de Max Romeo.
Deux erreurs assez significatives, donc. Il y en a d’autres (nous ferons un petit update au fil du temps) mais toutes ne s’avèrent pas aussi « intéressantes » à creuser.