- DREAD Editions
Bunny Wailer et la moderne Jézabel...

Un ancien blog hallucinant de Bunny Wailer lève le voile sur les coulisses du mythe Marley que Don Taylor, dans Bob Marley & Moi (DREAD Editions), fut le premier à évoquer.
L’univers Marley est à plusieurs strates. La plus lumineuse, celle qu’on nous montre le plus, trouve les Wailers (morts et vivants), prêchant la bonne parole du “one love” sur une musique universelle. Mais de que l’on creuse un peu, on tombe sur des noeuds de vipères, des esprits échauffés et des insultes bibliques. Don Taylor, avec Bob Marley & Moi (DREAD Editions), fut le tout premier à entrouvrir le rideau qui cachait aux amateurs de Bob des coulisses bien ténébreuses. Là derrière, dans le noir, les Chris Blackwell, Rita Marley et autres petits profiteurs s’agitent comme des couleuvres.
Bunny Wailer, qui se présente comme “l’unique survivant de la Trinité des Wailers”, a toujours été un personnage curieux, reculé en lui-même. Effrayé à l’idée de prendre l’avion, inquiet à l’excès, il s’est vite retiré de la course à la gloire internationale sans qu’on ait besoin de l’écarter comme Peter Tosh. Cela ne l’a pas empêché de poursuivre une carrière plus locale, mais somme toute brillante. Je me rappelle ma rencontre aux studios Tuff Gong, à Kingston. En m’approchant de cette petite silhouette toute sèche affublée de longues dreadlocks et d’épouvantables lunettes vertes à spirales, je me forçai à sourire ; croiser un Wailer ne vous arrive pas tous les jours, on peut tout de même faire un effort. Bunny Wailer discutait à travers le grillage avec quelques types qui zonaient devant les studios et qui lui donnaient du “Jah B” (son surnom) et riaient un peu trop fort à ses remarques. Une interview avec Bunny Wailer ? Je n’y croyais pas, et n’en avais pas vraiment envie. Du coup, je le saluai et me contentai de lui demander une photo. Il me toisa à travers ses lunettes, et refusa. Je remerciai et m’éloignai sans insister, cela ne m’intéressait guère. Je n’ai jamais trop senti les “vibrations” de Bunny Wailer, comme on dit. Les tirades assommantes placardées sur ses derniers (et mauvais) albums en date m’avaient appris que j’avais affaire à un type qui se prenait, en effet, pour un membre de la Trinité et qui s’envoyait lui-même des louanges qu’on aurait eu un peu honte d’adresser à son Roi pour obtenir une faveur. Mais l’homme et l’artiste ne doivent pas toujours se confondre et Bunny Wailer restera toujours pour moi l’auteur de quelques titres géniaux dont le magnifique Jammings. Et le dernier gardien du temple des Wailers.
Lorsque j’annonçai à Roger Steffens, l’un des plus grands collectionneurs mondiaux de Marley, que j’allais sortir la biographie de Don Taylor, il s’offusqua : “Comment, ce ramassis de mensonges ?” J’argumentai jusqu’à ce qu’il m’envoie la chronique qu’il avait fait du livre dans The Beat à sa sortie en anglais, en 1995. Curieusement, en dehors de sa colère, Steffens n’y démontrait pas grand-chose; rien, en fait. Pire, il concluait en interrogeant son vieil ami, Bunny Wailer. “Eh bien, lui déclara ce dernier au sujet du livre, tout est vrai !” Bunny Wailer déclara même, à l’époque : “Don Taylor n’en a pas dit encore assez !” En fait, le doux et évanescent Wailer est en guerre ouverte avec Chris Blackwell (fondateur du label Island) et Rita Marley. Et sa rage confine à la fureur sur un blog lancé il y a quelques années, Tuff Gong Records blog. Il est, certes, resté inactif depuis plus de trois ans, mais les rares “posts” qu’il contient (authentifiés par Roger Steffens) font un peu frémir. Le premier est illustré par un dessin un peu enfantin qui représente le serpent biblique de la Genèse avec la tête de Rita Marley. Elle contemple une pomme (celle de la discorde, à n’en pas douter) en ricanant : la Jézabel du 21e siècle ! dit la légende. Le post cite la Bible qui dénonce « la fausse prophétesse » qui se livra à la « prostitution » et qui « trompe les gens. » Dénonçant une conspiration, Bunny Wailer prévient : « Je vais demander à la justice comment ma mère, Madame Malcom Booker et mes frères Robert (Bob Marley) et Peter (Tosh) furent tués par, respectivement, Lord Christopher Blackwell, Rita (Marley), Dianne Jobson (avocate) et Leppo (meurtrier de Peter Tosh). » Le ton est donné.
Dans Bob Marley & Moi, Don Taylor accuse à demi-mots Rita Marley d’avoir tué Bob en lui faisant inoculer le cancer par un médecin parisien qui soigna son orteil blessé. Une histoire guère convaincante. Rita aurait-elle choisi un moyen si compliqué si elle avait voulu tuer son mari ? « Le 11 mai 1981, affirme Bunny Wailer sur son blog, Robert Nesta Marley mourut des suites d’une poussière radioactive qui lui fut administrée par Rita. C’est Llord Chrisopher Blackwell qui lui avait remis cette substance mortelle afin qu’elle tue Bob. » Il rappelle aussi qu’à cette époque, la CIA tentait de faire taire Marley (ce point est avéré). Il écrit aussi : « C’est encore Rita qui, le 11 septembre 1987, s’associa à Dennis « Leppo » Lobban pour tuer Peter Tosh. » Ce Leppo, ami d’enfance de Trench Town, à peine sorti de prison, s’introduisit chez le chanteur avec des complices avant de l’assassiner avec plusieurs personnes, dans des circonstances restées pour le moins étranges. “Quelle était son mobile ? demande Bunny. Elle tentait alors, en 1986/87, de dissimuler ses tentatives de fraude devant une cour de justice new-yorkaise en se prétendant la gérante légale de Tuff Gong Records Ltd.” Peter Tosh et Bunny Wailer, affirme-t-il, la gênaient alors parce qu’elle avait vendu les droits des Wailers et de Tuff Gong à Blackwell.
Toutes ces histoires demeurent difficiles à éclaircir ; les procès se sont multipliés, les relaxes et autres arrangements ont brouillé les pistes. De même que certains revirements de la part des musiciens (parfois légitimes, parfois plus douteux). D’ailleurs, c’est au tour d’Allan « Skill » Cole d’entrer dans la « course des rats » en menaçant de procès le clan Marley et Island Records. Tout cela prouve au moins une chose, Don Taylor a peut-être inventé ou arrangé quelques parties de sa biographie (bien qu’elle ne fut jamais attaquée en justice malgré les graves accusations nominatives portées) mais l’histoire qu’il raconte, en gros, est criante de vérité... et d’une brûlante actualité. Comme chantait Marley en son temps, there’ll be always wars!